Les chefs de parti sont invités, ce vendredi 17 novembre, à la deuxième édition des rencontres de Saint-Denis. Au menu des discussions, notamment, la révision des institutions. Lors de son discours devant le Conseil constitutionnel il y a un mois, le chef de l’État a, sur ce sujet, mis en avant deux priorités : d’abord, la réforme du référendum ; ensuite, la décentralisation. Sur ce second volet, la pensée présidentielle est pour le moins floue. Une mission a d’ailleurs été confiée à Éric Woerth (député Renaissance), preuve que l’idée lumineuse n’est guère aboutie au-delà des poncifs habituels et souvent contradictoires sur le sujet. Il faudrait donc simplifier, rationaliser pour rendre lisible, tout en différenciant et en créant une succession de statuts ad hoc.

Un point apparaît plus abouti que les autres et nécessite la plus grande prudence de la part des chefs de parti, car, s’ils devaient s’accorder avec le chef de l’État autour du projet qu’il leur propose, ils assumeraient avec lui le sacrifice de principes fondamentaux. Ces principes ne sont pas là uniquement pour embêter les politiques, mais sont aussi des digues qui, dès lors qu’elles se fissurent, pourraient bien emporter nos sociétés fragiles. Le discours d’Ajaccio d’Emmanuel Macron devant l’Assemblée de Corse promettant aux nationalistes corses l’autonomie ne fut pas qu’un simple exercice de rhétorique dans lequel le chef de l’État a joué du « en même temps » entre vocabulaire nationaliste et promesses floues. Avec le recul que laissent quelques jours, on peut dire que ce dernier a ouvert trois boîtes de Pandore qu’il sera bien difficile de refermer. Surenchère régionaliste

La première, évidemment la plus immédiate et visible, fut une concurrence entre régionalismes. Alors que le président faisait son discours devant l’Assemblée de Corse, le président de la région Bretagne remettait un rapport sur l’autonomie à Élisabeth Borne en demandant la même chose. C’est ce phénomène de surenchère liant identité et statuts particuliers qui a détruit la Grande-Bretagne, l’Espagne, la Belgique… Si je dispose d’un statut de moindre autonomie, alors mon identité est méprisée. Si le voisin obtient un statut similaire au mien, alors mon identité est normalisée. De là, une surenchère qui pousse régions et partis politiques en leur sein à développer un discours de plus en plus identitaire de rejet de l’unité nationale jusqu’à vouloir en rompre les fondements.

C’est cette analyse que nous faisions dans La France en miettes (édition du Cerf, 2023) et que nous avons résumée bien des fois depuis, notamment dans ces colonnes. Nous nous garderons donc de nous répéter. Nous fûmes souvent traités de Cassandre. On avait raison… Beaucoup ont oublié que la malédiction de Cassandre n’était pas le pessimisme, mais de connaître l’avenir et de ne pas être cru. À présent, les choses sont claires et ne peuvent plus être ignorées. L’emballement prouve que nous devons faire un choix : soit entrer dans la logique d’emballement qui mènera à la rupture du pays, soit arrêter tout de suite un mouvement qui nécessairement nous échappera. Que les plus attachés à la solidarité nationale se souviennent que des territoires riches qui ne pensent plus appartenir à la même nation que les plus pauvres refusent de payer pour les autres. Que ceux, dont le président de la République, qui n’ont que l’Europe à la bouche se souviennent que la montée de l’Ukip a pour poumon la crise écossaise, tout comme Vox fleurit sur la crise catalane. Que les thuriféraires de la stabilité politique se rappellent que l’instabilité parlementaire espagnole est liée à la multiplication des petits partis régionaux et que, si Theresa May a échoué à négocier le Brexit, c’est parce que son gouvernement dépendait de petits partis nord-irlandais.

Faisons le choix aujourd’hui de rompre la solidarité nationale et d’entrer dans l’instabilité politique. Faisons ce choix, faisons-le consciemment, car ses conséquences sont à présent claires et indéniables. Faisons-le car, si Cassandre sait comment cela commence, il ne sait pas comment cela se finit. Aucun de nos voisins n’a pour l’instant réussi à sortir de l’ornière dans laquelle ces politiques de différenciation territoriale l’ont mis.

  • Camus@lemmy.caOP
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    11 months ago

    L’emballement prouve que nous devons faire un choix : soit entrer dans la logique d’emballement qui mènera à la rupture du pays, soit arrêter tout de suite un mouvement qui nécessairement nous échappera. Que les plus attachés à la solidarité nationale se souviennent que des territoires riches qui ne pensent plus appartenir à la même nation que les plus pauvres refusent de payer pour les autres. Que ceux, dont le président de la République, qui n’ont que l’Europe à la bouche se souviennent que la montée de l’Ukip a pour poumon la crise écossaise, tout comme Vox fleurit sur la crise catalane. Que les thuriféraires de la stabilité politique se rappellent que l’instabilité parlementaire espagnole est liée à la multiplication des petits partis régionaux et que, si Theresa May a échoué à négocier le Brexit, c’est parce que son gouvernement dépendait de petits partis nord-irlandais.

    Faisons le choix aujourd’hui de rompre la solidarité nationale et d’entrer dans l’instabilité politique. Faisons ce choix, faisons-le consciemment, car ses conséquences sont à présent claires et indéniables. Faisons-le car, si Cassandre sait comment cela commence, il ne sait pas comment cela se finit. Aucun de nos voisins n’a pour l’instant réussi à sortir de l’ornière dans laquelle ces politiques de différenciation territoriale l’ont mis. République communautarienne

    La seconde est celle du communautarisme. Emmanuel Macron a pensé avoir trouvé la panacée en ne reconnaissant pas un peuple corse, ce qui juridiquement aurait été rompre l’unité de la souveraineté (qui se confond avec le peuple dans la Constitution) et ouvrirait un droit à sécession. Il propose donc de reconnaître une « communauté culturelle » corse. Belle trouvaille d’« en même temps ». Sauf que cette dernière est peut-être encore plus délétère que la demande inacceptable à laquelle elle doit servir de palliatif.

    Dans notre texte fondamental, le citoyen n’est pas qualifié par une culture ou par une religion. L’universalisme républicain permet aujourd’hui à l’État de ne reconnaître dans ses citoyens que des citoyens, et de répondre à toutes les revendications communautaristes par un discours universaliste. À ses enfants qui lui demandent de prendre en compte leur spécificité, la République peut répondre qu’elle n’en reconnaît aucune mais qu’elle les accepte toutes également tout en ne faisant aucune différence entre les individus.

    La proposition d’Emmanuel Macron nous conduirait donc à devoir à terme choisir, nécessairement, entre le communautarisme et le racisme d’État.

    Engrenage de la violence

    La troisième boîte de Pandore est celle de la violence. Le discours d’Emmanuel Macron est historique car un chef d’État s’est ce jour adressé à une assemblée qui a fait une minute de silence en hommage à Yvan Colonna, dont la mort est horrible mais qui n’est connu que pour avoir tiré dans le dos d’un préfet de la République. L’exécutif s’est rendu aux revendications d’un exécutif qui a mis ses drapeaux en berne en l’honneur d’Yvan Colonna. À quel degré de folie et de déraison sommes-nous collectivement arrivés pour ne plus nous en indigner ? Là aussi, reprocherons-nous ensuite à quelques-uns d’héroïser tel ou tel terroriste ? Qu’aurions-nous dit si une collectivité de Seine-Saint-Denis avait fait de même pour Mohammed Merah ? Aurait-on discuté, négocié ?

    Soyons généreux avec notre président, il n’est que le dernier maillon d’une chaîne de renoncement. J’ai déjà parlé de l’existence à l’université de Corte d’un amphithéâtre Acquaviva en l’honneur d’un poseur de bombes du FLNC mort en mission. Il ne s’agit pas de tags effectués par des nationalistes ou des étudiants radicaux. Il s’agit d’un choix institutionnel. L’État, le ministère de l’Enseignement supérieur, a accepté cela. À quel moment l’institution universitaire, à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, a-t-elle à ce point renoncé à faire respecter la décence la plus essentielle ? À quel moment avons-nous baissé les yeux devant la violence jusqu’à laisser aux nationalistes le soin de radicaliser une jeunesse corse qui aujourd’hui les dépasse et les met dos au mur ? Si nous permettons ça pour la Corse, cessons de nous indigner des black blocs. Leur méthode est efficace puisqu’un président est revenu sur les principes fondamentaux de la République pour céder à des violences de rue de quelques lycéens ajacciens. Si nous permettons ça pour la Corse, cessons de nous indigner que des associations écologistes franchissent les barrières de la loi et usent de violence. Si on peut agir ainsi pour la co-officialité de la langue corse ou le statut du résident, on doit aussi pouvoir le faire pour sauver la planète. Si nous permettons ça pour la Corse, cessons de nous indigner des émeutes des banlieues. Si les difficultés économiques de l’île de Beauté excusent les accès de violence, alors elles sont aussi un droit fondamental de nos quartiers. Pompier pyromane

    Les principes ne sont pas du « juridisme », comme les a qualifiés le président de la République à Ajaccio. Ils sont des digues qui nous permettent de rejeter la violence, le communautarisme et la dislocation de l’État. Si nous les ébréchons sur le dossier corse, nous ne pourrons plus sérieusement les soutenir sur d’autres. Céder sur la Corse, c’est donc céder sur tout. Céder sur la Corse, c’est capituler face à la République en pensant faire un bon « deal de boutiquier ».

    Notre pays, déjà fragile et fracturé, n’attendait pas que son président vienne jouer à Ajaccio le rôle des pompiers pyromanes. Il est à présent nécessaire que les chefs de parti se ressaisissent et s’inquiètent des conséquences de cette inconséquence. La parole présidentielle est forte, mais elle n’est pas un décret divin. C’est le Parlement qui légifère et le constituant qui touche au texte fondamental. Il est donc aujourd’hui de la responsabilité de chaque parlementaire et de chaque citoyen de dire non à la voie mortifère tracée par le chef de l’État.

    *Benjamin Morel est maître de conférences en droit public à l’université Paris-II-Panthéon-Assas, auteur d’une thèse sur le Sénat ainsi que d’articles sur les institutions parlementaires. Il a publié, en février 2023, La France en miettes, paru aux éditions du Cerf.

    • paboppa@jlai.lu
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      11 months ago

      mdrr il ne manquait qu’assas pour compléter le CV de ce néo-imperialiste 💀💀💀