• Camus [il/lui]@lemmy.caOP
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    26 days ago

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    Avant mĂȘme de s’asseoir Ă  la terrasse ensoleillĂ©e d’un cafĂ© de Pau, offrant une vue superbe sur toute la chaĂźne des PyrĂ©nĂ©es, HĂ©lĂšne s’excuse : son mari ne pourra pas venir au rendez-vous, il est au golf. Puis elle explique qu’elle aussi a failli sĂ©cher cet entretien. Parler des derniĂšres rĂ©vĂ©lations sur Notre-Dame de BĂ©tharram la met « trĂšs mal Ă  l’aise ». Elle a envoyĂ© son fils dans cet Ă©tablissement catholique du BĂ©arn dans les annĂ©es 1980. Cette femme de 79 ans comprend la gravitĂ© des accusations de violences physiques et sexuelles portĂ©es par d’anciens Ă©lĂšves, mais, selon elle, ce sujet « pollue l’Aquitaine » dĂ©sormais, autant que ses dĂźners.

    « On ne peut plus se retrouver entre amis sans en parler, souffle-t-elle. C’est le sujet du moment. J’espĂšre que cela va s’estomper. Il y a constamment des blagues dessus, cela fait du mal Ă  notre rĂ©gion. » D’un air dĂ©solĂ©, elle montre un photomontage envoyĂ© sur son tĂ©lĂ©phone : François Bayrou, premier ministre et maire de Pau, y est caricaturĂ© dans une barque surnommĂ©e « Le bĂȘta rame ». Pour ne pas ĂȘtre mĂȘlĂ©e Ă  cette « polĂ©mique », comme elle dit, HĂ©lĂšne refuse de voir son nom figurer dans l’article. Un nom Ă  particule – « ce qui a ses avantages et ses inconvĂ©nients, souligne-t-elle, car les gens vous cataloguent rapidement » – lĂ©guĂ© par la famille aristocrate de son mari en mĂȘme temps qu’un chĂąteau proche de Pau.

    La bourgeoisie du Sud-Ouest n’aime guĂšre s’épancher sur le dossier BĂ©tharram. Les langues se dĂ©lient pĂ©niblement pour Ă©voquer ces plus de 150 anciens Ă©lĂšves de Notre-Dame de BĂ©tharram qui ont dĂ©noncĂ© des violences physiques, des agressions sexuelles et des viols. Jusque-lĂ , l’établissement des PyrĂ©nĂ©es-Atlantiques Ă©tait une institution intouchable, avec une rĂ©putation Ă©tablie, autant pour son taux de rĂ©ussite au baccalaurĂ©at que pour sa rigueur et sa capacitĂ© Ă  « redresser » les enfants jugĂ©s trop turbulents. Beaucoup venaient de trĂšs bonnes familles. De Pau Ă  Bordeaux, en passant par le Pays basque, des notables de toute la rĂ©gion y ont envoyĂ© leurs enfants, autant pour construire leurs rĂ©seaux que pour les confronter Ă  une Ă©ducation Ă  la dure. Un choix traditionnel pour les Ă©lites

    Pourquoi ce choix de la part de familles bourgeoises ? « Ça se faisait », rĂ©pondent-elles souvent. Comme une Ă©vidence que l’on ne questionne plus, dans une logique de reproduction sociale. L’institution a formĂ© des garçons devenus avocats, mĂ©decins, journalistes, hommes politiques, directeurs de banque
 Avant d’y faire entrer son fils au collĂšge pour deux ans, HĂ©lĂšne avait eu « de bons Ă©chos » de BĂ©tharram. Fille de notaire, elle-mĂȘme Ă©tait passĂ©e par la case pension en rĂ©gion paloise et y avait Ă©tĂ© trĂšs heureuse.

    Alors, en 1982, son mari et elle choisissent cette option pour leur fils qui, d’aprĂšs eux, ne travaille pas assez Ă  l’école. Ils Ă©taient conscients que ce ne serait pas un Ă©tablissement « de Bisounours », mais, de toute façon, prĂ©cise HĂ©lĂšne, ils n’ont pas Ă©levĂ© « une chochotte ». « C’était un cadre que l’on cherchait, plus qu’autre chose, explique-t-elle. Une Ă©ducation rigoureuse qui soit bien posĂ©e. A la maison, il n’arrivait pas Ă  travailler. »

    La stricte discipline est plutĂŽt bien vue par cette bourgeoisie d’obĂ©dience catholique, inquiĂšte de l’arrivĂ©e au pouvoir de la gauche de François Mitterrand en 1981 et d’un supposĂ© laxisme dans l’éducation des enfants. Le quotidien Sud Ouest offrait un aperçu de cette mentalitĂ© dans un article du 13 avril 1996 : « BĂ©tharram, dans le Sud-Ouest aquitain, est un symbole. L’un des derniers bastions (d’aucuns affirment le dernier) d’une Ă©ducation “à la dure”, capable de tenir tĂȘte aux coups de boutoir d’une sociĂ©tĂ© permissive triomphante depuis mai 1968. »

    HĂ©lĂšne se souvient qu’un jour, son fils lui a racontĂ© avoir Ă©tĂ© puni et envoyĂ© dehors en pleine nuit dans le froid sur le perron du collĂšge. « Si tu n’avais pas fait une connerie, tu serais restĂ© dans le dortoir », lui avait-elle alors rĂ©pondu. Aujourd’hui, elle ne sait pas si elle porterait plainte pour cela. Elle n’exprime pas de regrets d’avoir envoyĂ© son fils Ă  BĂ©tharram. « Il n’y a pas Ă©tĂ© malheureux », affirme-t-elle. Une institution qui « vendait du rĂȘve »

    Avec le recul, Jean-RĂ©my Arruyer, cartographe, analyse les liens entre l’institution catholique et le milieu bourgeois comme « un jeu social ». Ce sexagĂ©naire a Ă©tĂ© pensionnaire Ă  BĂ©tharram de 1973 Ă  1980, du CM2 Ă  la 1Êłá”‰, et fait partie de la centaine de plaignants. Il y a subi des agressions sexuelles et mettra prĂšs de quarante ans Ă  en parler Ă  ses proches. Le jeune Jean-RĂ©my n’a jamais Ă©tĂ© un enfant turbulent, il collectionnait au contraire les prix d’excellence. « Cela correspondait aux bonnes valeurs d’un entre-soi bourgeois : tu avais une maison, deux voitures, tu allais Ă  la messe et au ski le week-end, et tu avais ton fils Ă  BĂ©tharram », analyse-t-il.

    A l’époque, son pĂšre possĂšde une coopĂ©rative de produits laitiers et sa mĂšre enseigne dans le privĂ©. Elle vient d’une famille aisĂ©e du Gers et ses cousins germains ont tous Ă©tĂ© scolarisĂ©s Ă  Notre-Dame de Garaison, un Ă©tablissement catholique des Hautes-PyrĂ©nĂ©es, lui aussi rĂ©cemment mis en lumiĂšre Ă  la suite de dĂ©nonciations de mauvais traitements et d’agressions sexuelles par des anciens Ă©lĂšves – tout comme les collĂšges Notre-Dame du SacrĂ©-CƓur, dit « Cendrillon », Ă  Dax, ou Saint-François-Xavier, Ă  Ustaritz, dans la mĂȘme rĂ©gion. Si cette mĂšre de famille s’en veut Ă©normĂ©ment, Ă  93 ans, d’avoir mis son fils Ă  BĂ©tharram, Ă  l’époque elle le vit comme une vraie « fiertĂ© » et un « marqueur social », a-t-elle rapportĂ© Ă  son fils aprĂšs les rĂ©vĂ©lations de l’affaire.

    Entre les annĂ©es 1970 et 2000, Notre-Dame de BĂ©tharram met tout en Ɠuvre pour vendre du rĂȘve aux parents. L’établissement met en avant les nombreux Ă©quipements sportifs, dont une grande piscine, les sorties au ski le mercredi aprĂšs-midi, la nature autour du pensionnat. « Le pĂšre directeur recevait gĂ©nĂ©ralement les parents avant la rentrĂ©e pour finir de les convaincre, raconte Jean-RĂ©my Arruyer, qui vit toujours dans la maison familiale, Ă  Pau. Ce n’était pas le petit curĂ© de la paroisse du coin, il faisait partie des gens d’un tout autre calibre. Tout cela Ă©tait vu comme le gage d’une rĂ©ussite sociale Ă  venir. J’étais programmĂ© pour ĂȘtre magistrat ou militaire en sortant de lĂ . » Il restera pourtant traumatisĂ© par son passage dans l’établissement. Un sujet difficile Ă  Ă©voquer

    Dans les familles bourgeoises, BĂ©tharram n’a jamais Ă©tĂ© un sujet de discussion. Pas plus aujourd’hui qu’hier. Comme au sein de ce couple originaire de la rĂ©gion paloise, parti pour sa retraite dans une ville de la cĂŽte basque. Ils ont tous deux fait partie des grands notables de Pau et prĂ©fĂšrent ne pas voir leur nom associĂ© Ă  cette affaire. Leur fils, Matthieu, aujourd’hui mĂ©decin dans la rĂ©gion de Marseille, a fait sa 1Êłá”‰ et sa terminale Ă  Notre-Dame de BĂ©tharram dans les annĂ©es 1980. Une idĂ©e de ses parents, selon lui, car il avait redoublĂ© sa 1Êłá”‰. Son pĂšre et sa mĂšre soutiennent, eux, qu’il y est allĂ© de sa propre volontĂ©.

    « C’est difficile d’en parler, reconnaĂźt l’ancien pensionnaire. J’ai baignĂ© dans une Ă©ducation religieuse. Ces affaires remettent aussi en question tout un univers Ă©ducatif. » Matthieu assure n’avoir subi aucune violence, ce qui l’interroge au regard des tĂ©moignages publiĂ©s ces derniers mois : « Je me demande si les classes plus aisĂ©es n’étaient pas plus protĂ©gĂ©es que les gens plus pauvres. Les “fils de” Ă©taient peut-ĂȘtre moins la cible des surveillants et des prĂȘtres, notamment en ce qui concerne les violences sexuelles. »

    De leur cĂŽtĂ©, ses parents reconnaissent ne s’ĂȘtre jamais posĂ© de questions. « Quand on est proche de ses enfants, ils parlent, ils vous racontent tout, soutient le pĂšre de Matthieu. Pour ceux qui ont subi des violences et qui n’ont pas osĂ© parler, il y a sans doute un problĂšme de lien avec leurs parents. » Une rhĂ©torique identique Ă  celle de François Bayrou. A la sortie de la rĂ©union avec des reprĂ©sentants du collectif des victimes le 15 fĂ©vrier, Ă  la mairie de Pau, le premier ministre avait en effet rĂ©pondu aux journalistes que, si ses enfants scolarisĂ©s dans l’établissement avaient subi des violences, ils lui en auraient parlĂ©. Il « n’aurai[t] pas pu ignorer cela pour [ses] enfants ». Des faits dĂ©jĂ  dĂ©noncĂ©s dans les annĂ©es 1990

    François-Xavier Tourot, 55 ans, ne croit pas un instant que la parole est plus facile Ă  libĂ©rer dans certaines familles plutĂŽt que dans d’autres. « Peut-ĂȘtre encore plus que dans d’autres milieux, il y avait ce dĂ©ni et cette omerta dans les familles bourgeoises », assure ce graphiste, victime de violences physiques et d’agressions sexuelles Ă  BĂ©tharram pendant trois ans, de 1980 Ă  1983. Sa famille, dont deux membres appartenaient Ă  la direction du groupe pĂ©trolier Elf Aquitaine, habitait Ă  Trespoey, le quartier chic de Pau. S’attaquer Ă  une institution dirigĂ©e par des prĂȘtres est, selon lui, impensable dans ces milieux trĂšs catholiques et dĂ©noncer les faits risque de mettre en pĂ©ril la rĂ©putation de toute une famille.

    A 11 ans et demi, le jeune François-Xavier ne parvient pas Ă  parler Ă  ses parents des violences dont il est victime. Il ne trouve pas les mots justes, a peur de les dĂ©cevoir ou de se plaindre de quelque chose qui ne serait pas si grave. Il laisse transparaĂźtre son mal-ĂȘtre autrement. Un soir, chez sa mĂšre (ses parents sont divorcĂ©s), il boit une demi-bouteille de whisky, jusqu’au coma Ă©thylique. Quand il se rĂ©veille, le lendemain, sa mĂšre n’a aucune rĂ©action. « Quelle honte », lui reproche-t-elle simplement. Celui qui fait partie des actuels plaignants n’a pu en parler Ă  ses proches et publiquement que dĂ©but 2024.

    DĂ©jĂ  en 1996, l’avocat palois Jean-François Blanco avait observĂ© cette capacitĂ© du milieu bourgeois Ă  protĂ©ger son institution. A l’époque, il dĂ©fend la famille Lacoste-SĂ©ris, dont le fils Marc, 14 ans