Camus [il/lui]@lemmy.ca to France@jlai.luFrançais · 26 days agoAvec lâaffaire de BĂ©tharram, le silence gĂȘnĂ© de la bourgeoisie : « Câest le sujet du moment. JâespĂšre que cela va sâestomper, cela fait du mal Ă notre rĂ©gion »www.lemonde.frexternal-linkmessage-square5fedilinkarrow-up115arrow-down10
arrow-up115arrow-down1external-linkAvec lâaffaire de BĂ©tharram, le silence gĂȘnĂ© de la bourgeoisie : « Câest le sujet du moment. JâespĂšre que cela va sâestomper, cela fait du mal Ă notre rĂ©gion »www.lemonde.frCamus [il/lui]@lemmy.ca to France@jlai.luFrançais · 26 days agomessage-square5fedilink
minus-squareCamus [il/lui]@lemmy.caOPlinkfedilinkFrançaisarrow-up5·edit-226 days agohttps://gitflic.ru/project/magnolia1234/bypass-paywalls-firefox-clean peut tâaider Pour cet article spoiler Avant mĂȘme de sâasseoir Ă la terrasse ensoleillĂ©e dâun cafĂ© de Pau, offrant une vue superbe sur toute la chaĂźne des PyrĂ©nĂ©es, HĂ©lĂšne sâexcuse : son mari ne pourra pas venir au rendez-vous, il est au golf. Puis elle explique quâelle aussi a failli sĂ©cher cet entretien. Parler des derniĂšres rĂ©vĂ©lations sur Notre-Dame de BĂ©tharram la met « trĂšs mal Ă lâaise ». Elle a envoyĂ© son fils dans cet Ă©tablissement catholique du BĂ©arn dans les annĂ©es 1980. Cette femme de 79 ans comprend la gravitĂ© des accusations de violences physiques et sexuelles portĂ©es par dâanciens Ă©lĂšves, mais, selon elle, ce sujet « pollue lâAquitaine » dĂ©sormais, autant que ses dĂźners. « On ne peut plus se retrouver entre amis sans en parler, souffle-t-elle. Câest le sujet du moment. JâespĂšre que cela va sâestomper. Il y a constamment des blagues dessus, cela fait du mal Ă notre rĂ©gion. » Dâun air dĂ©solĂ©, elle montre un photomontage envoyĂ© sur son tĂ©lĂ©phone : François Bayrou, premier ministre et maire de Pau, y est caricaturĂ© dans une barque surnommĂ©e « Le bĂȘta rame ». Pour ne pas ĂȘtre mĂȘlĂ©e Ă cette « polĂ©mique », comme elle dit, HĂ©lĂšne refuse de voir son nom figurer dans lâarticle. Un nom Ă particule â « ce qui a ses avantages et ses inconvĂ©nients, souligne-t-elle, car les gens vous cataloguent rapidement » â lĂ©guĂ© par la famille aristocrate de son mari en mĂȘme temps quâun chĂąteau proche de Pau. La bourgeoisie du Sud-Ouest nâaime guĂšre sâĂ©pancher sur le dossier BĂ©tharram. Les langues se dĂ©lient pĂ©niblement pour Ă©voquer ces plus de 150 anciens Ă©lĂšves de Notre-Dame de BĂ©tharram qui ont dĂ©noncĂ© des violences physiques, des agressions sexuelles et des viols. Jusque-lĂ , lâĂ©tablissement des PyrĂ©nĂ©es-Atlantiques Ă©tait une institution intouchable, avec une rĂ©putation Ă©tablie, autant pour son taux de rĂ©ussite au baccalaurĂ©at que pour sa rigueur et sa capacitĂ© à « redresser » les enfants jugĂ©s trop turbulents. Beaucoup venaient de trĂšs bonnes familles. De Pau Ă Bordeaux, en passant par le Pays basque, des notables de toute la rĂ©gion y ont envoyĂ© leurs enfants, autant pour construire leurs rĂ©seaux que pour les confronter Ă une Ă©ducation Ă la dure. Un choix traditionnel pour les Ă©lites Pourquoi ce choix de la part de familles bourgeoises ? « Ăa se faisait », rĂ©pondent-elles souvent. Comme une Ă©vidence que lâon ne questionne plus, dans une logique de reproduction sociale. Lâinstitution a formĂ© des garçons devenus avocats, mĂ©decins, journalistes, hommes politiques, directeurs de banque⊠Avant dây faire entrer son fils au collĂšge pour deux ans, HĂ©lĂšne avait eu « de bons Ă©chos » de BĂ©tharram. Fille de notaire, elle-mĂȘme Ă©tait passĂ©e par la case pension en rĂ©gion paloise et y avait Ă©tĂ© trĂšs heureuse. Alors, en 1982, son mari et elle choisissent cette option pour leur fils qui, dâaprĂšs eux, ne travaille pas assez Ă lâĂ©cole. Ils Ă©taient conscients que ce ne serait pas un Ă©tablissement « de Bisounours », mais, de toute façon, prĂ©cise HĂ©lĂšne, ils nâont pas Ă©levĂ© « une chochotte ». « CâĂ©tait un cadre que lâon cherchait, plus quâautre chose, explique-t-elle. Une Ă©ducation rigoureuse qui soit bien posĂ©e. A la maison, il nâarrivait pas Ă travailler. » La stricte discipline est plutĂŽt bien vue par cette bourgeoisie dâobĂ©dience catholique, inquiĂšte de lâarrivĂ©e au pouvoir de la gauche de François Mitterrand en 1981 et dâun supposĂ© laxisme dans lâĂ©ducation des enfants. Le quotidien Sud Ouest offrait un aperçu de cette mentalitĂ© dans un article du 13 avril 1996 : « BĂ©tharram, dans le Sud-Ouest aquitain, est un symbole. Lâun des derniers bastions (dâaucuns affirment le dernier) dâune Ă©ducation âĂ la dureâ, capable de tenir tĂȘte aux coups de boutoir dâune sociĂ©tĂ© permissive triomphante depuis mai 1968. » HĂ©lĂšne se souvient quâun jour, son fils lui a racontĂ© avoir Ă©tĂ© puni et envoyĂ© dehors en pleine nuit dans le froid sur le perron du collĂšge. « Si tu nâavais pas fait une connerie, tu serais restĂ© dans le dortoir », lui avait-elle alors rĂ©pondu. Aujourdâhui, elle ne sait pas si elle porterait plainte pour cela. Elle nâexprime pas de regrets dâavoir envoyĂ© son fils Ă BĂ©tharram. « Il nây a pas Ă©tĂ© malheureux », affirme-t-elle. Une institution qui « vendait du rĂȘve » Avec le recul, Jean-RĂ©my Arruyer, cartographe, analyse les liens entre lâinstitution catholique et le milieu bourgeois comme « un jeu social ». Ce sexagĂ©naire a Ă©tĂ© pensionnaire Ă BĂ©tharram de 1973 Ă 1980, du CM2 Ă la 1Êłá”, et fait partie de la centaine de plaignants. Il y a subi des agressions sexuelles et mettra prĂšs de quarante ans Ă en parler Ă ses proches. Le jeune Jean-RĂ©my nâa jamais Ă©tĂ© un enfant turbulent, il collectionnait au contraire les prix dâexcellence. « Cela correspondait aux bonnes valeurs dâun entre-soi bourgeois : tu avais une maison, deux voitures, tu allais Ă la messe et au ski le week-end, et tu avais ton fils Ă BĂ©tharram », analyse-t-il. A lâĂ©poque, son pĂšre possĂšde une coopĂ©rative de produits laitiers et sa mĂšre enseigne dans le privĂ©. Elle vient dâune famille aisĂ©e du Gers et ses cousins germains ont tous Ă©tĂ© scolarisĂ©s Ă Notre-Dame de Garaison, un Ă©tablissement catholique des Hautes-PyrĂ©nĂ©es, lui aussi rĂ©cemment mis en lumiĂšre Ă la suite de dĂ©nonciations de mauvais traitements et dâagressions sexuelles par des anciens Ă©lĂšves â tout comme les collĂšges Notre-Dame du SacrĂ©-CĆur, dit « Cendrillon », Ă Dax, ou Saint-François-Xavier, Ă Ustaritz, dans la mĂȘme rĂ©gion. Si cette mĂšre de famille sâen veut Ă©normĂ©ment, Ă 93 ans, dâavoir mis son fils Ă BĂ©tharram, Ă lâĂ©poque elle le vit comme une vraie « fiertĂ© » et un « marqueur social », a-t-elle rapportĂ© Ă son fils aprĂšs les rĂ©vĂ©lations de lâaffaire. Entre les annĂ©es 1970 et 2000, Notre-Dame de BĂ©tharram met tout en Ćuvre pour vendre du rĂȘve aux parents. LâĂ©tablissement met en avant les nombreux Ă©quipements sportifs, dont une grande piscine, les sorties au ski le mercredi aprĂšs-midi, la nature autour du pensionnat. « Le pĂšre directeur recevait gĂ©nĂ©ralement les parents avant la rentrĂ©e pour finir de les convaincre, raconte Jean-RĂ©my Arruyer, qui vit toujours dans la maison familiale, Ă Pau. Ce nâĂ©tait pas le petit curĂ© de la paroisse du coin, il faisait partie des gens dâun tout autre calibre. Tout cela Ă©tait vu comme le gage dâune rĂ©ussite sociale Ă venir. JâĂ©tais programmĂ© pour ĂȘtre magistrat ou militaire en sortant de lĂ . » Il restera pourtant traumatisĂ© par son passage dans lâĂ©tablissement. Un sujet difficile Ă Ă©voquer Dans les familles bourgeoises, BĂ©tharram nâa jamais Ă©tĂ© un sujet de discussion. Pas plus aujourdâhui quâhier. Comme au sein de ce couple originaire de la rĂ©gion paloise, parti pour sa retraite dans une ville de la cĂŽte basque. Ils ont tous deux fait partie des grands notables de Pau et prĂ©fĂšrent ne pas voir leur nom associĂ© Ă cette affaire. Leur fils, Matthieu, aujourdâhui mĂ©decin dans la rĂ©gion de Marseille, a fait sa 1Êłá” et sa terminale Ă Notre-Dame de BĂ©tharram dans les annĂ©es 1980. Une idĂ©e de ses parents, selon lui, car il avait redoublĂ© sa 1Êłá”. Son pĂšre et sa mĂšre soutiennent, eux, quâil y est allĂ© de sa propre volontĂ©. « Câest difficile dâen parler, reconnaĂźt lâancien pensionnaire. Jâai baignĂ© dans une Ă©ducation religieuse. Ces affaires remettent aussi en question tout un univers Ă©ducatif. » Matthieu assure nâavoir subi aucune violence, ce qui lâinterroge au regard des tĂ©moignages publiĂ©s ces derniers mois : « Je me demande si les classes plus aisĂ©es nâĂ©taient pas plus protĂ©gĂ©es que les gens plus pauvres. Les âfils deâ Ă©taient peut-ĂȘtre moins la cible des surveillants et des prĂȘtres, notamment en ce qui concerne les violences sexuelles. » De leur cĂŽtĂ©, ses parents reconnaissent ne sâĂȘtre jamais posĂ© de questions. « Quand on est proche de ses enfants, ils parlent, ils vous racontent tout, soutient le pĂšre de Matthieu. Pour ceux qui ont subi des violences et qui nâont pas osĂ© parler, il y a sans doute un problĂšme de lien avec leurs parents. » Une rhĂ©torique identique Ă celle de François Bayrou. A la sortie de la rĂ©union avec des reprĂ©sentants du collectif des victimes le 15 fĂ©vrier, Ă la mairie de Pau, le premier ministre avait en effet rĂ©pondu aux journalistes que, si ses enfants scolarisĂ©s dans lâĂ©tablissement avaient subi des violences, ils lui en auraient parlĂ©. Il « nâaurai[t] pas pu ignorer cela pour [ses] enfants ». Des faits dĂ©jĂ dĂ©noncĂ©s dans les annĂ©es 1990 François-Xavier Tourot, 55 ans, ne croit pas un instant que la parole est plus facile Ă libĂ©rer dans certaines familles plutĂŽt que dans dâautres. « Peut-ĂȘtre encore plus que dans dâautres milieux, il y avait ce dĂ©ni et cette omerta dans les familles bourgeoises », assure ce graphiste, victime de violences physiques et dâagressions sexuelles Ă BĂ©tharram pendant trois ans, de 1980 Ă 1983. Sa famille, dont deux membres appartenaient Ă la direction du groupe pĂ©trolier Elf Aquitaine, habitait Ă Trespoey, le quartier chic de Pau. Sâattaquer Ă une institution dirigĂ©e par des prĂȘtres est, selon lui, impensable dans ces milieux trĂšs catholiques et dĂ©noncer les faits risque de mettre en pĂ©ril la rĂ©putation de toute une famille. A 11 ans et demi, le jeune François-Xavier ne parvient pas Ă parler Ă ses parents des violences dont il est victime. Il ne trouve pas les mots justes, a peur de les dĂ©cevoir ou de se plaindre de quelque chose qui ne serait pas si grave. Il laisse transparaĂźtre son mal-ĂȘtre autrement. Un soir, chez sa mĂšre (ses parents sont divorcĂ©s), il boit une demi-bouteille de whisky, jusquâau coma Ă©thylique. Quand il se rĂ©veille, le lendemain, sa mĂšre nâa aucune rĂ©action. « Quelle honte », lui reproche-t-elle simplement. Celui qui fait partie des actuels plaignants nâa pu en parler Ă ses proches et publiquement que dĂ©but 2024. DĂ©jĂ en 1996, lâavocat palois Jean-François Blanco avait observĂ© cette capacitĂ© du milieu bourgeois Ă protĂ©ger son institution. A lâĂ©poque, il dĂ©fend la famille Lacoste-SĂ©ris, dont le fils Marc, 14 ans
https://gitflic.ru/project/magnolia1234/bypass-paywalls-firefox-clean peut tâaider
Pour cet article
spoiler
Avant mĂȘme de sâasseoir Ă la terrasse ensoleillĂ©e dâun cafĂ© de Pau, offrant une vue superbe sur toute la chaĂźne des PyrĂ©nĂ©es, HĂ©lĂšne sâexcuse : son mari ne pourra pas venir au rendez-vous, il est au golf. Puis elle explique quâelle aussi a failli sĂ©cher cet entretien. Parler des derniĂšres rĂ©vĂ©lations sur Notre-Dame de BĂ©tharram la met « trĂšs mal Ă lâaise ». Elle a envoyĂ© son fils dans cet Ă©tablissement catholique du BĂ©arn dans les annĂ©es 1980. Cette femme de 79 ans comprend la gravitĂ© des accusations de violences physiques et sexuelles portĂ©es par dâanciens Ă©lĂšves, mais, selon elle, ce sujet « pollue lâAquitaine » dĂ©sormais, autant que ses dĂźners.
« On ne peut plus se retrouver entre amis sans en parler, souffle-t-elle. Câest le sujet du moment. JâespĂšre que cela va sâestomper. Il y a constamment des blagues dessus, cela fait du mal Ă notre rĂ©gion. » Dâun air dĂ©solĂ©, elle montre un photomontage envoyĂ© sur son tĂ©lĂ©phone : François Bayrou, premier ministre et maire de Pau, y est caricaturĂ© dans une barque surnommĂ©e « Le bĂȘta rame ». Pour ne pas ĂȘtre mĂȘlĂ©e Ă cette « polĂ©mique », comme elle dit, HĂ©lĂšne refuse de voir son nom figurer dans lâarticle. Un nom Ă particule â « ce qui a ses avantages et ses inconvĂ©nients, souligne-t-elle, car les gens vous cataloguent rapidement » â lĂ©guĂ© par la famille aristocrate de son mari en mĂȘme temps quâun chĂąteau proche de Pau.
La bourgeoisie du Sud-Ouest nâaime guĂšre sâĂ©pancher sur le dossier BĂ©tharram. Les langues se dĂ©lient pĂ©niblement pour Ă©voquer ces plus de 150 anciens Ă©lĂšves de Notre-Dame de BĂ©tharram qui ont dĂ©noncĂ© des violences physiques, des agressions sexuelles et des viols. Jusque-lĂ , lâĂ©tablissement des PyrĂ©nĂ©es-Atlantiques Ă©tait une institution intouchable, avec une rĂ©putation Ă©tablie, autant pour son taux de rĂ©ussite au baccalaurĂ©at que pour sa rigueur et sa capacitĂ© à « redresser » les enfants jugĂ©s trop turbulents. Beaucoup venaient de trĂšs bonnes familles. De Pau Ă Bordeaux, en passant par le Pays basque, des notables de toute la rĂ©gion y ont envoyĂ© leurs enfants, autant pour construire leurs rĂ©seaux que pour les confronter Ă une Ă©ducation Ă la dure. Un choix traditionnel pour les Ă©lites
Pourquoi ce choix de la part de familles bourgeoises ? « Ăa se faisait », rĂ©pondent-elles souvent. Comme une Ă©vidence que lâon ne questionne plus, dans une logique de reproduction sociale. Lâinstitution a formĂ© des garçons devenus avocats, mĂ©decins, journalistes, hommes politiques, directeurs de banque⊠Avant dây faire entrer son fils au collĂšge pour deux ans, HĂ©lĂšne avait eu « de bons Ă©chos » de BĂ©tharram. Fille de notaire, elle-mĂȘme Ă©tait passĂ©e par la case pension en rĂ©gion paloise et y avait Ă©tĂ© trĂšs heureuse.
Alors, en 1982, son mari et elle choisissent cette option pour leur fils qui, dâaprĂšs eux, ne travaille pas assez Ă lâĂ©cole. Ils Ă©taient conscients que ce ne serait pas un Ă©tablissement « de Bisounours », mais, de toute façon, prĂ©cise HĂ©lĂšne, ils nâont pas Ă©levĂ© « une chochotte ». « CâĂ©tait un cadre que lâon cherchait, plus quâautre chose, explique-t-elle. Une Ă©ducation rigoureuse qui soit bien posĂ©e. A la maison, il nâarrivait pas Ă travailler. »
La stricte discipline est plutĂŽt bien vue par cette bourgeoisie dâobĂ©dience catholique, inquiĂšte de lâarrivĂ©e au pouvoir de la gauche de François Mitterrand en 1981 et dâun supposĂ© laxisme dans lâĂ©ducation des enfants. Le quotidien Sud Ouest offrait un aperçu de cette mentalitĂ© dans un article du 13 avril 1996 : « BĂ©tharram, dans le Sud-Ouest aquitain, est un symbole. Lâun des derniers bastions (dâaucuns affirment le dernier) dâune Ă©ducation âĂ la dureâ, capable de tenir tĂȘte aux coups de boutoir dâune sociĂ©tĂ© permissive triomphante depuis mai 1968. »
HĂ©lĂšne se souvient quâun jour, son fils lui a racontĂ© avoir Ă©tĂ© puni et envoyĂ© dehors en pleine nuit dans le froid sur le perron du collĂšge. « Si tu nâavais pas fait une connerie, tu serais restĂ© dans le dortoir », lui avait-elle alors rĂ©pondu. Aujourdâhui, elle ne sait pas si elle porterait plainte pour cela. Elle nâexprime pas de regrets dâavoir envoyĂ© son fils Ă BĂ©tharram. « Il nây a pas Ă©tĂ© malheureux », affirme-t-elle. Une institution qui « vendait du rĂȘve »
Avec le recul, Jean-RĂ©my Arruyer, cartographe, analyse les liens entre lâinstitution catholique et le milieu bourgeois comme « un jeu social ». Ce sexagĂ©naire a Ă©tĂ© pensionnaire Ă BĂ©tharram de 1973 Ă 1980, du CM2 Ă la 1Êłá”, et fait partie de la centaine de plaignants. Il y a subi des agressions sexuelles et mettra prĂšs de quarante ans Ă en parler Ă ses proches. Le jeune Jean-RĂ©my nâa jamais Ă©tĂ© un enfant turbulent, il collectionnait au contraire les prix dâexcellence. « Cela correspondait aux bonnes valeurs dâun entre-soi bourgeois : tu avais une maison, deux voitures, tu allais Ă la messe et au ski le week-end, et tu avais ton fils Ă BĂ©tharram », analyse-t-il.
A lâĂ©poque, son pĂšre possĂšde une coopĂ©rative de produits laitiers et sa mĂšre enseigne dans le privĂ©. Elle vient dâune famille aisĂ©e du Gers et ses cousins germains ont tous Ă©tĂ© scolarisĂ©s Ă Notre-Dame de Garaison, un Ă©tablissement catholique des Hautes-PyrĂ©nĂ©es, lui aussi rĂ©cemment mis en lumiĂšre Ă la suite de dĂ©nonciations de mauvais traitements et dâagressions sexuelles par des anciens Ă©lĂšves â tout comme les collĂšges Notre-Dame du SacrĂ©-CĆur, dit « Cendrillon », Ă Dax, ou Saint-François-Xavier, Ă Ustaritz, dans la mĂȘme rĂ©gion. Si cette mĂšre de famille sâen veut Ă©normĂ©ment, Ă 93 ans, dâavoir mis son fils Ă BĂ©tharram, Ă lâĂ©poque elle le vit comme une vraie « fiertĂ© » et un « marqueur social », a-t-elle rapportĂ© Ă son fils aprĂšs les rĂ©vĂ©lations de lâaffaire.
Entre les annĂ©es 1970 et 2000, Notre-Dame de BĂ©tharram met tout en Ćuvre pour vendre du rĂȘve aux parents. LâĂ©tablissement met en avant les nombreux Ă©quipements sportifs, dont une grande piscine, les sorties au ski le mercredi aprĂšs-midi, la nature autour du pensionnat. « Le pĂšre directeur recevait gĂ©nĂ©ralement les parents avant la rentrĂ©e pour finir de les convaincre, raconte Jean-RĂ©my Arruyer, qui vit toujours dans la maison familiale, Ă Pau. Ce nâĂ©tait pas le petit curĂ© de la paroisse du coin, il faisait partie des gens dâun tout autre calibre. Tout cela Ă©tait vu comme le gage dâune rĂ©ussite sociale Ă venir. JâĂ©tais programmĂ© pour ĂȘtre magistrat ou militaire en sortant de lĂ . » Il restera pourtant traumatisĂ© par son passage dans lâĂ©tablissement. Un sujet difficile Ă Ă©voquer
Dans les familles bourgeoises, BĂ©tharram nâa jamais Ă©tĂ© un sujet de discussion. Pas plus aujourdâhui quâhier. Comme au sein de ce couple originaire de la rĂ©gion paloise, parti pour sa retraite dans une ville de la cĂŽte basque. Ils ont tous deux fait partie des grands notables de Pau et prĂ©fĂšrent ne pas voir leur nom associĂ© Ă cette affaire. Leur fils, Matthieu, aujourdâhui mĂ©decin dans la rĂ©gion de Marseille, a fait sa 1Êłá” et sa terminale Ă Notre-Dame de BĂ©tharram dans les annĂ©es 1980. Une idĂ©e de ses parents, selon lui, car il avait redoublĂ© sa 1Êłá”. Son pĂšre et sa mĂšre soutiennent, eux, quâil y est allĂ© de sa propre volontĂ©.
« Câest difficile dâen parler, reconnaĂźt lâancien pensionnaire. Jâai baignĂ© dans une Ă©ducation religieuse. Ces affaires remettent aussi en question tout un univers Ă©ducatif. » Matthieu assure nâavoir subi aucune violence, ce qui lâinterroge au regard des tĂ©moignages publiĂ©s ces derniers mois : « Je me demande si les classes plus aisĂ©es nâĂ©taient pas plus protĂ©gĂ©es que les gens plus pauvres. Les âfils deâ Ă©taient peut-ĂȘtre moins la cible des surveillants et des prĂȘtres, notamment en ce qui concerne les violences sexuelles. »
De leur cĂŽtĂ©, ses parents reconnaissent ne sâĂȘtre jamais posĂ© de questions. « Quand on est proche de ses enfants, ils parlent, ils vous racontent tout, soutient le pĂšre de Matthieu. Pour ceux qui ont subi des violences et qui nâont pas osĂ© parler, il y a sans doute un problĂšme de lien avec leurs parents. » Une rhĂ©torique identique Ă celle de François Bayrou. A la sortie de la rĂ©union avec des reprĂ©sentants du collectif des victimes le 15 fĂ©vrier, Ă la mairie de Pau, le premier ministre avait en effet rĂ©pondu aux journalistes que, si ses enfants scolarisĂ©s dans lâĂ©tablissement avaient subi des violences, ils lui en auraient parlĂ©. Il « nâaurai[t] pas pu ignorer cela pour [ses] enfants ». Des faits dĂ©jĂ dĂ©noncĂ©s dans les annĂ©es 1990
François-Xavier Tourot, 55 ans, ne croit pas un instant que la parole est plus facile Ă libĂ©rer dans certaines familles plutĂŽt que dans dâautres. « Peut-ĂȘtre encore plus que dans dâautres milieux, il y avait ce dĂ©ni et cette omerta dans les familles bourgeoises », assure ce graphiste, victime de violences physiques et dâagressions sexuelles Ă BĂ©tharram pendant trois ans, de 1980 Ă 1983. Sa famille, dont deux membres appartenaient Ă la direction du groupe pĂ©trolier Elf Aquitaine, habitait Ă Trespoey, le quartier chic de Pau. Sâattaquer Ă une institution dirigĂ©e par des prĂȘtres est, selon lui, impensable dans ces milieux trĂšs catholiques et dĂ©noncer les faits risque de mettre en pĂ©ril la rĂ©putation de toute une famille.
A 11 ans et demi, le jeune François-Xavier ne parvient pas Ă parler Ă ses parents des violences dont il est victime. Il ne trouve pas les mots justes, a peur de les dĂ©cevoir ou de se plaindre de quelque chose qui ne serait pas si grave. Il laisse transparaĂźtre son mal-ĂȘtre autrement. Un soir, chez sa mĂšre (ses parents sont divorcĂ©s), il boit une demi-bouteille de whisky, jusquâau coma Ă©thylique. Quand il se rĂ©veille, le lendemain, sa mĂšre nâa aucune rĂ©action. « Quelle honte », lui reproche-t-elle simplement. Celui qui fait partie des actuels plaignants nâa pu en parler Ă ses proches et publiquement que dĂ©but 2024.
DĂ©jĂ en 1996, lâavocat palois Jean-François Blanco avait observĂ© cette capacitĂ© du milieu bourgeois Ă protĂ©ger son institution. A lâĂ©poque, il dĂ©fend la famille Lacoste-SĂ©ris, dont le fils Marc, 14 ans